Très bel ouvrage que celui de ce couple d’auteurs qui décrypte 36 métaphores des sciences du vivant et déconstruit les processus de « finalisation » en sciences de l’univers et de la vie. L’ouvrage est très abordable, tout en ne faisant aucune concession à la rigueur scientifique bien au contraire. Comme les auteurs l’écrivent dans l’introduction « nous traiterons des métaphores scientifiques trompeuses, vieillissantes ou destinées à convaincre, et non pas de celles qui sont restées fécondes et/ou qui n’induisent pas d’idées fausses (par exemple « arbre phylogénétique »), parce qu’il n’y a rien à corriger à leur sujet.» Les auteurs excellent ainsi à dénicher les biais philosophiques voire idéologiques dissimulés derrière les discours convenus de présentation des sciences du vivant : intentionnalité, anthropocentrisme, finalisme, essentialisme, réductionnisme. C’est d’ailleurs là une tâche salutaire et courageuse car ces métaphores ont été souvent utilisées par de grands scientifiques, honnêtement dans une visée pédagogique pour se faire comprendre, mais parfois aussi trompeusement en adoptant des postures d’intentionnalité comme avec les gênes qui expriment le programme du vivant, ou en parlant de plan d’organisation là où il n’y a qu’une multitude de composants en interactions et en évolution constante (les gènes exprimant stochastiquement selon leurs allèles de façon variable, les protéines, les enzymes, l’environnement et l’épigénétique etc.) Ceci risque de ne pas plaire à tout le monde.
Chemin faisant les auteurs insistent sur les dérives – pourtant fructueuses à l’origine dans les années 1950 – générées par l’introduction de l’informatique, des codes et des programmes, de la machine de Turing et des avancées en ce domaine par le physicien von Neumann. La découverte de l’ADN et de l’ARN sont à la clef de ces nouveaux paradigmes introduits par les sciences dures mais elles ont trouvé rapidement leurs limites puisque, au bout du compte, les gènes ne déterminent pas complètement, et loin s’en faut, les organismes vivants nullement fixistes comme nous le savons. Pour nous en convaincre, il me semble que nous connaissons tous des jumeaux très différents alors qu’homozygotes et ayant souvent partagés de larges pans de leur prime existence.
Même pour un lecteur non familier des sciences du vivant, le propos sonne juste et comme une mise en garde contre les discours mirifiques des scientistes contemporains cherchant à nous convaincre de les laisser exercer leurs rêves de belles intentions : transhumanisme, homme augmenté, extension des limites de la vie humaine. Ils confondent tous communication et science. Dans le domaine des sciences dites dures, le propos sonne juste également car ce type de discours y est aussi à l’œuvre : que l’on songe aux promesses de la vie extraterrestre faisant ainsi miroiter de pouvoir y transporter l’humanité plutôt que de s’occuper sérieusement de notre système terre. La complexité du vivant est irréductible, mais la complexité du monde physique est également un fait et elle aussi est irréductible. « L’ouvrage est pigmenté par la touche humoristique d’Arnaud Rafaelian qui aborde à sa façon chaque métaphore avec ses dessins inimitables ». Tout ce livre me semble une démonstration que la complexité du monde est présente à toutes les échelles et qu’il est vain de chercher à s’en rendre maitre. La science aussi a ses limites. Analyse de Vincent Cousin
Annabelle Kremer-Lecointre, Guillaume Lecointre, Ill. Arnaud Rafaelian, Belin éducation (Un monde qui change)