Mediator un crime chimiquement pur

Tout le monde a entendu parler de l’affaire du Mediator. Mais en connaissez-vous tous les tenants et les aboutissants ? Cette bande dessinée est née de l’amicale complicité entre Irène Frachon, la pneumologue lanceuse d’alerte et Eric Giacometti, journaliste, depuis 2011, date à laquelle le scandale a éclaté. Le lecteur est entraîné dans une incroyable enquête policière mettant en cause les laboratoires Servier dont le fondateur va révéler au fil des ans une attitude de déni en lien avec des hommes politiques influents, l’agence française du médicament au fonctionnement opaque et faussé par des conflits d’intérêt entre experts et laboratoires pharmaceutiques et les témoignages de très nombreuses victimes. Le dessinateur François Duprat et le coloriste Paul Bona ont su traduire en images, avec beaucoup de sensibilité, ce récit très fort en mettant en relief toute la tension et l’angoisse des principaux acteurs de ce drame. Sans oublier Hippocrate qui « éclaire avec pédagogie et une pincée de malice, sur les inévitables aspects médicaux un peu techniques mais indispensables pour que le lecteur saisisse les ressorts d’une tromperie presque parfaite ». « Alerte à Brest ! », en 2007, au CHU de Brest où travaille Irène Frachon, un cas de maladie ATAP suspecte lui rappelle un cas semblable dû à l’isoméride, un médicament aussi fabriqué par Servier interdit par la suite. « Isoméride, le scandale qui annonçait le mediator », on aurait dit que tout était écrit avec dix ans d’avance. Une cardiologue belge a bien signalé des cas mais la pharmacologie belge conclut qu’il n’y a aucune mesure à prendre. Un scandale éclatera aussi aux USA à propos du redux fabriqué par Servier. Apparaît alors un des deux scénaristes, le journaliste qui a mené l’enquête sur l’isomère et qui est découragé car Servier s’en sort sans aucune condamnation !  « L’enquête », isoméride et mediator appartiennent à la famille des amphétamines. Sur une double page explications très claires sur « La merveilleuse et terrifiante histoire des amphétamines ». Celles-ci ont été prescrites aux Américaines pour garder la ligne provoquant des valvulopathies. Un tournant capital dans l’enquête, l’isomèride et le mediator libèrent le même poison. « Le naufrage de l’Agence du médicament », une étude « cas-témoin » est lancée pour révéler la dangerosité du médicament. Au terme de trois années de combat, douze ans après l’isoméride, le médiator est retiré ! Mais Irène va continuer car pour elle le scandale a été étouffé. « ce sera la guerre, vous le savez ? », Irène sort un livre « mediator : combien de morts ? ». Ce sera vraiment la guerre. « L’heure des comptes », suite aux milliers de plaintes déposées, une enquête tentaculaire est déclenchée dans les laboratoires et le domicile de Servier. L’engrenage de la dissimulation pendant quarante ans va être mise à jour ainsi que la complicité de médecins et politiques. Un grand procès pénal s’ouvre en 2018. Les laboratoires Servier sont reconnus coupables. Un nouveau procès en appel s’ouvrira en janvier 2023. Cette bande dessinée permet au lecteur de suivre sur plusieurs années de lutte des investigations fouillées, avec la publication de documents inédits. Pour la première fois sont expliqués les dessous inimaginables de deux affaires étroitement liées. Trois enseignements majeurs sont à tirer de ce scandale sanitaire : le corps des femmes est un enjeu commercial : il y a eu des milliers de victimes, des conflits d’intérêt entre médecins et labos nuisent aux patients et il faut en finir avec l’impunité des criminels en col blanc. Le lecteur sort de la lecture de cette BD exceptionnelle, abasourdi par cette quête de l’argent au détriment du bien d’autrui et aussi admiratif devant le courage et l’obstination d’Irène Frachon pour avoir mené un combat acharné de lanceuse d’alerte sur plusieurs années.

Irène Frachon, Éric Giacometti, Ill. François Duprat, Paul Bona, Delcourt (BD)