Savez-vous que les abysses sont moins bien cartographiés que la surface de la Lune ? Et pourtant les interrogations sont multiples au sujet de la biodiversité, en particulier la vie dans les grands fonds et des ressources à exploiter. Olivier Lascar, journaliste à Sciences et Avenir-La recherche, après avoir rassemblé une énorme documentation et rencontré de très nombreux scientifiques, apporte des informations scientifiques approfondies en trois grandes parties. Dans son avant-propos, il attire notre attention sur deux notions à ne pas confondre : exploration et exploitation. L’enjeu est de taille car les industriels ont la « fringale » pour en exploiter les richesses ! Cet ouvrage a pour but d’expliquer le défi à venir : « il faut développer la connaissance scientifique de l’environnement et de l’écosystème des grandes profondeurs pour savoir comment les protéger au mieux ». À partir de quelle profondeur commencent les abysses ? La plupart des spécialistes parlent d’abysses quand on dépasse 1000 mètres de profondeur. La limite recule au fur et à mesure de son exploration. Dans la première partie, « l’exploration des abysses », l’auteur décrit les engins qui doivent répondre à des règles très strictes de sécurité comme le démontre la disparition de « Titan » en 2023. Après avoir présenté l’échelle des profondeurs, il montre que la pollution est partout puisqu’on a retrouvé dans la fosse des Mariannes à 11 000 mètres de profondeur, des débris de sacs plastiques ! Les premiers explorateurs ont été bien surpris de découvrir le monde de la bioluminescence. Une spécialiste, la biologiste Séverine Martini en explique l’intérêt évolutif pour les espèces. Sarah Samadi, professeure au MNHN, décrit ce petit bestiaire des profondeurs. Au XIXe siècle, la remontée des câbles déposés à 2000 mètres de profondeur ont été source de surprises : ils étaient recouverts d’éponges, de vers… Savez-vous ce qu’est la « neige » nourricière ? Puis en 1970 ce fut la sidération avec la découverte des fumeurs noirs ! « Ce fut un moment très fort » commente Michel Segonzac. Marjolaine Matabos, chercheuse à Ifremer, est responsable du programme « espions des grands fonds ». Connaissez-vous le sous-marin avec lequel James Cameron alla jusqu’à 10 908 mètres de profondeur ? Ifremer développe des ROV qui sont l’avenir de l’océanographie. La deuxième partie est consacrée aux « Abysses transformés par l’humain ». L’archéologie sous-marine est la nouvelle « frontière » écrit Michel L’Hour, héraut de « l’archéologie aux pieds palmés ». Les climatologues étudient les abysses eux aussi impactés par le réchauffement climatique car ils sont « connectés à la machine planétaire globale ». L’océan est une pompe à carbone essentielle. On peut parler d’« océan câblé » du fait des 500 câbles sous-marins qui représentent 1,3 millions de kilomètres de fibres optiques. Pourraient-ils être la cible d’actes de guerre ? Un expert en géosciences à l’Ifremer travaille sur un projet d’outils de mesure scientifique, associés aux câbles, pour mesurer température, pression et activité sismique. La troisième partie porte sur « la menace de l’exploitation industrielle ». Bruno David raconte qu’il a été choqué de voir qu’on jetait des détritus dans l’océan. Olivier Lascar cite les trois types de gisements de grande profondeur et décrit les problèmes découlant d’une exploitation industrielle, panache de décharge, bruit… Une autorité doit jouer le rôle de régulateur, c’est l’AIFM, l’Autorité internationale des fonds marins. Vu l’urgence climatique, il faudrait, comme pour l’Antarctique, un renoncement à l’exploitation. Mais des gens comme The Metals Compagny au contraire poussent à l’exploration, attirés par une « nouvelle ruée vers l’or ». Il serait temps qu’Homo Sapiens ne se comporte pas comme il l’a fait sur le continent, un « pilleur » de ressources naturelles. Cet ouvrage offre une excellente synthèse des connaissances actuelles sur les abysses, en donnant la parole à de nombreux scientifiques spécialistes des abysses. Il est un véritable plaidoyer pour qu’en préservant les grands fonds, nous soyons des acteurs de la préservation de l’équilibre de notre Planète.
La Terre et moi
James Lovelock est connu pour sa vision « gaïaenne » de notre planète. La Terre, Gaïa, est une entité vivante, dynamique et réactive pour corriger les erreurs