Jessica Oublié est une enfant de la Guadeloupe qu’elle a rejoint en février 2018. Elle a découvert l’histoire du pesticide avec effroi ! La reconstitution du récit a été « un exercice à la fois vertigineux et bouleversant ». Elle a été aidée par Luc Multigner, épidémiologiste à l’INSERM, qui a répondu à son invitation de collaborer à cette bande dessinée, appréciant sa grande qualité d’écoute et son esprit d’enquête méthodique qui l’a conduit à interroger 136 protagonistes de ce scandale. Éric Godard, ancien chargé interministériel chlordécone, a participé également. Illustrée de documents d’archives, d’extraits de presse et d’une iconographie importante constituée de dessins très précis, avec de belles planches en couleur et de photographies des victimes, cette BD augmentée permet au lecteur de s’immerger dans le déroulé des événements et des discours sur le plan historique, sociétal, médiatique, politique et juridique. Le récit commence par l’occupation de l’aéroport à La Martinique en 1992 à propos de la guerre de la banane et l’autorisation d’utiliser un pesticide ultrapersistant, le chlordécone. Puis ce sera son arrivée en Guadeloupe où 95 % de la population est contaminée. Luc Multigner explique qu’« en 1979 il avait été classé comme cancérogène pour l’homme et que sa persistance est estimée à plusieurs siècles dans les milieux naturels » ! Les interviews montrent comment les gens au quotidien ont souffert dans leur vie. Le plus grave est que des personnes, dont des scientifiques, connaissaient la dangerosité et se sont tues ! Vingt-deux ans d’épandage et on en a pour 70 à 700 ans de pollution. Des scientifiques témoignent dont le Pr Pascal Blanchet à propos du cancer de la prostate, le Pr Philippe Kadhel sur la survenue de naissances prématurées, Jean-Noël Jouzel sur les enjeux de santé environnementale… Jessica Oublié s’est rendue aux États-Unis pour constater qu’une fois déclaré toxique, le chlordécone avait été rapidement interdit ! Tout a été fait pour empêcher que le scandale éclate ! Elle apporte aussi un témoignage sur la persistance du passé esclavagiste dans la société antillaise. En attendant, « kisa nou fé ». Des habitants se sont constitués en associations de défense, des producteurs ont reçu un label bio et la réglementation de l’Union européenne est un outil de contrôle. A la fin de la BD, des philosophe dont Cinthia Fleury commentent l’influence de l’homme sur la nature à l’ère de l’Anthropocène. Ce reportage rigoureux de Jessica Oublié est édifiant et montre comment une minorité a mis les Martiniquais et les Guadeloupéens dans une situation de catastrophe sanitaire irrémédiable avant longtemps !
Jessica Oublié, Ill. Nicola Gobbi, Kathrine Avraam, Vinciane Lebrun, Steinkis / Les Escales (Témoins du monde)