L’Odyssée des fourmis

Mathieu Vidard, dans l’introduction, raconte son expérience en Afrique avec les fourmis Magnan qui peuvent infliger de terribles morsures. Nous sommes très intrigués par ces fourmis qui ont des sociétés super bien organisées. Audrey Dussutour et Antoine Wystrach, éminents myrmécologues, invitent à découvrir comment ces fourmis travaillent pour le bien de la communauté, sous forme d’une « odyssée palpitante ». Cet ouvrage est consacré aux fourmis « fourrageuses », celles qui sortent hors du nid, en « hommage à celles qui n’hésitent pas à braver tous les dangers pour assurer la survie de leurs proches, et ce, jusqu’à la mort ». Cette introduction d’Audrey Dussutour donne très envie de les connaître ! Comment est organisée une colonie ? Pour les comprendre il faut oublier notre mode de fonctionnement. Une colonie de fourmis est « un chaos organisé ». Il en est de même pour l’intelligence. Chaque fourmi a un cerveau. Comme l’écrit Antoine Wystrach « le temps est venu de commencer à mieux considérer les insectes et à leur donner la place qui leur revient. C’est d’ailleurs là un des buts qui ont motivé l’écriture de ce livre. Pour appréhender cette intelligence, il faut les observer sur le terrain ». Ces compte-rendus d’observations des « héroïnes, » les fourmis fourrageuses, prolongées par des expériences de laboratoire, vont nous être présentées sous la forme d’une épopée fantastique de onze épreuves que ces championnes réussissent avec brio ! Voici quelques exemples de ces défis, pour chacun est étudié le comportement d’une espèce différente, révélant le travail considérable réalisé par ces deux scientifiques dans différents pays. « Sortir et s’orienter », les fourmis « Gigantiops destructor », ce nom révèle leur « côté obscur » : ces prédatrices ont des mandibules acérées et deux yeux titanesques. Les deux auteurs, dans un langage très vivant et avec beaucoup d’humour, « en bref la stratégie de la fourmi pharaon c’est d’indiquer à sa famille où est le supermarché et ses horaires d’ouverture », font référence à des héros de la littérature, du cinéma… ce qui rend la lecture bien attractive et accessible au grand public. Les yeux à facette des fourmis sont un chef-d’œuvre de la nature ! Les auteurs font part des travaux de leurs collègues du monde entier, ce qui permet au lecteur d’être au courant des recherches les plus récentes. Des chercheurs d’Australie ont passé de nombreuses journées couchés sur le sol à percevoir le monde comme les fourmis le voient. « Trouver sa nourriture », les fourmis sont très bien loties au niveau de l’olfaction. Imaginez avec 400 types de récepteurs olfactifs, le nombre énorme d’odeurs qu’on pourrait discerner ! Savez-vous que certaines fourmis se rapprochent du tigre, elles pratiquent la chasse à l’affût ? Les fourmis Magnan sont de redoutables guerrières car elles pratiquent la chasses en groupe, par milliers, tels d’énormes coulées de boue. David Livingstone, médecin et explorateur en témoigne ! « Exploiter sa nourriture », les fourmis Philidris nagasau sont de véritables cultivatrices, elles plantent des graines, elles ont des relations fusionnelles avec une plante. Il y a aussi les Atta surnommés fourmis champignonnistes et fourmis coupeuses de feuilles. Les Lasius niger sont des bergères, élevant des pucerons. « Transporter sa nourriture », la fourmi Pogonomyrmex badius a une manière originale et efficace de rapporter du miel. La première fois qu’il l’a vue faire, le professeur s’est demandé s’il n’avait pas eu une hallucination ! Les autres épreuves portent sur l’adaptation à l’environnement, les relations avec les autres, la défense du territoire, la protection des ennemis, l’attaque et la contre-attaque, l’optimisation des choix, et les secours et les soins. La lecture de cet ouvrage apporte des informations scientifiques très approfondies et un grand plaisir de lecture, comme si vous étiez dans un roman « science » ou une histoire policière. De plus le lecteur est au plus près des travaux des chercheurs, ayant ainsi une bonne idée de ce qu’est la démarche scientifique. En conclusion, comme l’écrivent les auteurs « De cet infime aperçu de la vie, nous parvenons déjà à une incroyable diversité de formes, de tailles, de couleurs, de mode de vie et de mondes intérieurs… de cette connaissance, nous tirons une leçon d’humilité et un profond respect pour le vivant ». Espérons que les hommes en prennent conscience pour préserver leur environnement. Une très belle réussite de médiation de savoirs scientifiques !

Audrey Dussutour, Antoine Wystrach, Bernard Grasset