La bibliomule a pour cadre le califat de Cordoue qui est la capitale occidentale du savoir. Mais en 976, à la mort du calife al-Hakam, un vizir s’empare du pouvoir en se liant avec des religieux intégristes qui veulent faire brûler les livres. Tarid, un esclave eunuque en charge de la bibliothèque, réunit dans l’urgence le plus possible de livres qu’il charge sur une mule pour s’enfuir dans les collines. Le lecteur va suivre dans le cadre historique et culturel de l’époque, les péripéties de ce bibliothécaire rejoint par Lubna, une copiste et Marwan, son ancien apprenti qui a eu l’audace de lui voler « Le livre des animaux d’Al Jahiz sur les chaînes alimentaires et les techniques de survie des espèces ». Ces trois personnages sont forts différents et leurs relations parfois difficiles vont mettre du piment dans le récit ! Marwan trouve Tarid complètement « dingo » quand il leur raconte qu’un savant a inventé une machine permettant aux hommes de voler ! Le scénariste Lupano s’est basé sur des faits historiques et culturels authentiques, permettant au lecteur de mieux connaître l’histoire du monde arabo-musulman, très riche sur le plan culturel et scientifique. Ainsi Lubna a réellement existé. Elle était la cheffe des copistes, mathématicienne, poétesse et travaillait avec une autre femme qui possédait un grand savoir en astronomie. En effet Cordoue était le lieu de tous les savoirs et les arts avec des universités gratuites, de nombreux savants accueillis et un art développé de la copie et de la traduction de textes scientifiques comme l’explique Pascal Buresi, chercheur au CNRS. Le récit alterne entre les différents épisodes de l’aventure avec des leçons d’histoire, des lectures de livres science : « Ce que doit être la rigueur scientifique, il faut douter surtout de ses propres observations » et des retours sur le passé comme le passage où le Calife explique au jeune Marwan qu’en participant à la grande œuvre de la bibliothèque, c’est Dieu que l’on sert. Le lecteur va découvrir aussi comment étaient perçus les chrétiens : « des barbares sales et ignorants qui mangent du porc ! ». Léonard Chemineau rend ce récit attrayant avec des moments remplis d’humour, en particulier les scènes tragi-comiques, comme celle où la mule veut manger le traité du mathématicien Al-Khuwarizmi, tout en se rapprochant au plus près de la réalité historique, dans les monuments, vêtements et calligraphies. Ce récit sous forme de fable met l’accent sur cette volonté de détruire la culture, en particulier les livres, qui se manifeste lors des renversements politiques et des pouvoirs religieux de toutes les chapelles. Malheureusement cela a lieu encore de nos jours ! Malgré les destructions, le savoir trouve son chemin, les machines volantes de Vinci ressemblent à celles du savant IBN Firnas. Il est question aussi de la situation de la femme et de l’esclave, bien différente de l’occident : « Je suis née Femme et Esclave ! Et malgré ça, j’ai eu la chance de recevoir une éducation, parce qu’une esclave éduquée, ça a de la valeur ». Que va-t-il leur arriver coincés entre deux clans de terribles poursuivants ? Vont-ils avoir la vie sauve grâce aux livres ? « Les livres ont une valeur inestimable », tel est le message de cette BD qui joue tout son rôle de transmission de savoir culturel et scientifique sur un mode ludique grâce à un graphisme plein d’humour !
Wilfrid Lupano, Ill. Léonard Chemineau, Dargaud